Nutrition : la commercialisation "non éthique" des préparations pour
nourrissons nuit aux Africains - étude
Cherif Ousman Mbardounka
BBC Afrique
25 février 2022
https://www.bbc.com/afrique/monde-60500407
Selon une étude conjointe de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et du
Fonds des Nations Unies pour l'enfance (Unicef), près de la moitié des
nouvelles mères au Nigéria, deux mères marocaines sur cinq et plus d'un
cinquième des mères sud-africaines se sont vu conseiller par un professionnel
de la santé de donner à leur bébé un produit de type lait maternisé.
"Ce rapport montre très clairement que la commercialisation du lait maternisé
reste inacceptablement répandue, trompeuse et agressive", a déclaré le Dr
Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l'OMS.
Ce que dit le rapport
Les professionnels de la santé du Nigéria et du Maroc ont signalé que les
contacts avec les fabricants de lait maternisé étaient extrêmement fréquents
dans les établissements de santé publics et privés.
Le rapport a interrogé 8 500 parents et femmes enceintes, ainsi que 300 agents
de santé dans des villes du monde entier, notamment en Afrique du Sud, au
Bangladesh, en Chine, au Maroc, au Mexique, au Nigéria, au Royaume-Uni et au
Vietnam.
"Nous avons besoin de politiques, de législations et d'investissements solides
en faveur de l'allaitement maternel, afin que les femmes soient protégées des
pratiques commerciales contraires à l'éthique et qu'elles aient accès aux
informations et au soutien dont elles ont besoin pour élever leur famille", a
déclaré Catherine Russell, directrice générale de l'Unicef.
L'OMS et l'UNICEF dénoncent les pratiques employées par l'industrie des
préparations pour nourrissons, qui pèse 55 milliards de dollars. Ces industries
dépensent entre 3 et 5 milliards de dollars (2,7 à 3,4 milliards d'euros) pour
influer sur la décision des parents ou des femmes enceintes.
L'OMS et l'Unicef s'inquiètent tout particulièrement de ce que les fabricants
ciblent les personnels de santé qui "sont approchés pour influer sur leurs
recommandations aux nouvelles mamans". L'éventail est large: échantillons
gratuits, cadeaux promotionnels, financement de recherches, colloques mais
aussi parfois un intéressement aux ventes.
Le Dr Nigel Rollins, un pédiatre qui a supervisé l'étude pour l'OMS, souligne
en outre que "nous voyons du marketing partout. On voit des approches
différentes, parfois transparentes, parfois plutôt axées sur le numérique et
dans d'autres cas ce sont les professionnels de santé qui sont ciblés" pour
leur pouvoir d'influence.
Quels sont les avantages du lait maternel ?
Le lait maternel est l'aliment idéal pour les nourrissons. Il est sûr, propre
et contient des anticorps qui aident à protéger contre de nombreuses maladies
courantes de l'enfance.
L'OMS recommande l'allaitement maternel exclusif pendant six mois comme le
moyen le plus efficace de garantir la santé et la survie de l'enfant.
Les enfants nourris au sein auraient de meilleurs résultats aux tests
d'intelligence, seraient moins susceptibles d'être en surpoids et moins sujets
au diabète plus tard dans la vie. Les femmes qui allaitent ont également un
risque réduit de cancer du sein et des ovaires.
Le Dr Siméon Nanama, Conseiller Régional Nutrition à l'UNICEF Afrique de
l'Ouest et du Centre, estime que le lait maternel est de loin supérieur au lait
artificiel.
Le colostrum, le premier lait sécrété par les seins juste après l'accouchement,
est un lait très riche en anticorps qui permettent de protéger les bébés contre
les maladies.
L'allaitement maternel permet de prévenir des maladies comme la diarrhée, les
infections respiratoires et contribue de ce fait à sauver des milliers de vies
d'enfants. On estime par exemple que l'allaitement, s'il était pratiqué de
manière optimale et à échelle, permettrait de sauver environ 8 000 vies
d'enfants et, en plus de cela, d'avoir des bénéfices pour l'enfant.
C'est une pratique qui a des bénéfices pour la mère et les mêmes évidences
rapportent que l'allaitement lorsqu'il est pratiqué de façon optimale, permet
aussi de sauver environ 20.000 décès de mères dus au cancer, explique Dr Nanama.
Les scientifiques démontrent que le lait maternel est bel et bien supérieur au
lait artificiel en termes de protection de la survie des enfants. Mais au-delà
de leur développement cognitif et de leur capacité à devenir des adultes. Les
enfants qui sont allaités au lait sont protégés et ont un risque moins élevé de
développer des maladies chroniques comme l'obésité lorsqu'ils deviennent
adultes.
Comment promouvoir l'allaitement maternel ?
Malgré les bénéfices connus pour la santé, seulement 44% des bébés de moins de
6 mois sont exclusivement allaités, selon l'OMS et l'Unicef.
"Le taux d'allaitement dans le monde n'a que très peu augmenté ces 20 dernières
années, alors que les ventes de ces laits pour bébés ont doublé sur à peu près
la même période", soulignent les agences onusiennes.
Les deux agences onusiennes recommandent des programmes de soutien à
l'allaitement, comme des congés parentaux adéquats, mais aussi d'interdire aux
personnels de santé d'être sponsorisés par ces fabricants.
Dr Siméon Nanama, spécialiste en Nutrition, estime qu'il faut déconstruire les
idées reçues par rapport à l'allaitement maternel. Ces idées reçues contribuent
aussi à faire en sorte que certaines femmes s'orientent vers les laits
artificiels. Il y en a qui pensent que le lait maternel n'est pas suffisant
pour le bébé, que le bébé a une meilleure impression de satiété comparativement
au lait maternel etc. Pour lui, dans la plupart des cas, on a juste besoin
d'apporter le soutien et l'appui et l'assistance aux femmes qui allaitent.
Qu'elles soient des femmes qui allaitent et qui travaillent ou des femmes qui
allaitent et qui ne travaillent pas et qui font face à des contraintes. C'est
de s'assurer que dans le milieu du travail, on met en place des conditions qui
permettent à ces femmes-là de continuer à allaiter les enfants.
Le spécialiste suggère également de mettre en place des crèches sur les lieux
de travail pour permettre aux mères d'allaiter.
Il s'agit de travailler notamment sur certaines normes sociales pour briser les
croyances que les femmes ont tendance à ne pas allaiter ou alors à faire
recours aux substituts du lait maternel.
L'OMS et l'Unicef demandent aussi aux fabricants de s'engager publiquement à
respecter le code de conduite.
L'Assemblée mondiale de la santé, organe décisionnel suprême de l'OMS, a bien
adopté un code de conduite depuis 1981 mais souvent il n'a pas été transcrit
dans la législation nationale ou n'est pas appliqué.
Carinne Bruneton
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